Du papier, des papiers, vos papiers
Le papier constitue un élément essentiel de La Grande Lessive®. Ses étendages se composent, en effet, de feuillets de format A4 suspendus par des pinces à linges à des fils qui courent, en plein air, à travers places et rues.
En lui-même, le papier est déjà une création. Il a été inventé et ne cesse depuis d’être réinventé en tant que matière et matériau. De plus, chaque intervention et usage quotidiens ou artistiques modifient son apparence. Il crée du lien entre des personnes, en défiant les distances physiques et temporelles. Il parle de notre histoire et contribue à la faire.
À leur façon, les feuilles suspendues à l’occasion d’une « Grande lessive », un même jour autour de la Terre, forment un album bien réel dont l’intégralité échappe au regard.
Chaque réalisation a été conçue par une personne qui pourrait être nous. Chaque feuille a servi de support à sa pensée pour qu’elle se concrétise et gagne en singularité une fois passée entre des mains… C’est pourquoi, de sa fabrication à ses usages créatifs, nous vous proposons d’explorer le papier sous toutes ses coutures et d’en faire le sujet d’une installation artistique éphémère.
Cent papiers et bien plus encore
En vue de concevoir une réalisation, commençons par vagabonder ensemble :
D’abord, choisissez un papier et appelez-le par son nom (papier calque, etc.). Ce choix et ce nom le désignent. Ils invitent au voyage et ouvrent un espace créatif.
Touchez le papier, doucement, lentement, les yeux ouverts ou fermés, pour faire connaissance. Découvrez sa matière ou texture, son odeur, sa sonorité… La multiplication des perceptions découvre de nouveaux chemins.
Il arrive cependant que la feuille blanche fasse peur. Elle paraît vide et semble attendre une intervention de notre part. Le vertige saisit, car il existe une infinité de possibilités pour défaire cette blancheur et il nous appartient d’en choisir une ! Que se passera-t-il si nous avons le sentiment de nous tromper de voie ?
Quelques pistes pour s’épargner des frayeurs inutiles
Pourquoi ne pas débuter avec plusieurs feuilles blanches (et non une seule) en changeant d’itinéraire sur chacune d’elles ? Après ces excursions utilisant des outils et des gestes différents, choisissez celle que vous avez envie de prolonger. Un espace créatif demande à être apprivoisé. Apprenez à engager un dialogue avec le papier : vous agissez sur lui, il vous répond à sa manière, et ainsi de suite…
Vous pouvez également agir par tâtonnements en fermant les yeux. En vous guidant par le toucher, tracez, écrivez, dessinez ou pliez-le, froissez-le, etc. avant de découvrir les effets de ces interventions une fois les yeux rouverts.
Le papier n’est pas toujours blanc. Et sa blancheur varie selon sa composition et sa sensibilité à la lumière. Partez à la recherche de papiers blancs plutôt jaunes, bleus, blanchâtres, etc. Comparez ces papiers avant de les agencer par nuances. Faites un monochrome avec ces blancs ! Puis, récupérez des papiers de toutes sortes, textures, formes et couleurs, impressions, avant de les associer sur un support A4.
Kurt Schwitters, Merzzeischnung 47, 1920. DR
Eduardo Paolozzi, Wittgenstein in New York, 1965 (detail), Scottish National Gallery of Modern, DR
Face à cette collection improvisée, essayez de décrire chaque papier en précisant ses qualités : taille, forme, épaisseur, texture, couleurs, nuances, odeurs, transparence, semi transparence ou opacité, etc.
Expérimentez sa tenue (rigide, mou, cassant, friable, etc.), ses réactions au vent, à l’eau, etc.
Après ces explorations, si vous fabriquiez du papier ou le recycliez vous-même ? Sur le web, les conseils pour y parvenir sont nombreux. Diversifiez les processus, les composantes, les couleurs, les épaisseurs, les trames, etc. Incluez des fils électriques, des brins de laine, des brindilles, etc. Amusez-vous ! Ce papier sera unique, monotype !
Si le blanc vous semble trop uniforme, vous pouvez également le teinter, avec du thé, du café, du chocolat, des minéraux, des végétaux, etc.
Toutefois, la fragilité du papier interroge. Il ondule, se déchire, etc. Néanmoins, vous souhaitez le conserver ? Imaginer des solutions. Vous préférez l’altérer, le détruire, le transformer en vestige ou relique… À partir d’une même feuille, tentez plusieurs de ces voies et constatez les effets de celles choisies, avant d’en choisir une.
Vous pouvez aussi jouer avec les formats : plier, découper des papiers dont la taille est supérieure au format A4 requis pour La Grande Lessive® (par exemple raisin, demi raisin, A5, etc.) ou au contraire réunir plusieurs papiers de plus petits formats, similaires ou différents pour en faire un A4.
Il est temps de vous demander : Qu’est-ce qu’une feuille de papier ? Et aussi : Qu’est-ce qu’une feuille de papier seule ou placée avec d’autres feuilles de même format sur un même fil ? Expérimentez des étendages. Inventez des histoires de papier et papiers.
Vous l’avez compris : lors de cette édition, le papier n’est plus seulement un support, mais devient le personnage principal de l’étendage de La Grande lessive®.
Explorons maintenant d’autres pistes à partir d’images, de textes ou de références dont vous pouvez vous nourrir pour inventer votre propre réalisation.
Le papier dans tous ses usages
Le papier change d’usages selon les situations et les lieux. À l’école, brouillons et agendas font partie de la panoplie de tout élève. Il y a également des livres, des dépliants, des petits messages transmis en cachette, des anti-sèches, etc. Et si nous portions un autre regard sur eux ?
Brouillonnez, brouillez, bouillonnez !
Vous trouverez peut-être étrange qu’on commence ici par parler de travaux d’écrivains plutôt que de ceux d’artistes. Mais rassurez-vous, rien ni personne ne vous oblige à écrire ! Simplement, si on parle de papier, on est vite amenés à parler aussi d’écriture. Car dans l’imaginaire collectif, le papier appartient autant – sinon plus – aux écrivains qu’aux artistes. Parfois, cependant, la frontière entre écriture et dessin est brouillée. Un écrivain dessine parmi les mots. Un artiste écrit sur son dessin. Vous pouvez mettre en œuvre à votre tour une composition où l’écriture se mêlera au dessin, le lisible à l’illisible et au visible.
Victor Hugo, Cahier de collège, 1816-17, Série de notes de cours sur papier vergé filigrané,
réunies en un volume demi-maroquin rouge. 1816-1817.BNF, Manuscrits, NAF 13436, p. 117-118. DR
Transposez des agendas
Sur nos agendas, il y beaucoup d’informations : des dates et des heures, mais aussi des notes, des dessins, des autocollants, etc. Pourquoi ne pas transformer ou inventer une page d’agenda ? Un agenda du passé ? Du futur ? Du présent ? Pour évoquer un temps chargé ? Un temps calme ? Un temps de travail ? De repos ? De jeu ? D’invention ? Avec quelles informations ? Quelles images ? En masquant certains éléments ? En en rajoutant ?
Pierre Buraglio, Agendas, 1988, sérigraphie, DR
L’artiste Pierre Buraglio transforme ses propres pages d’agenda pour en faire des compositions artistiques.
Du papier à contre-emploi
Hors de l’école, le monde regorge de toutes sortes de papiers. Prospectus, journaux, tickets de caisse ou d’entrées de cinéma, affiches, grilles de loto, lettres, etc. Vous pouvez décider de ne pas créer sur une feuille vierge, mais de transformer un papier existant, par l’écriture, le dessin, ou par tout autre moyen (le masquage, partiel ou total, le rajout, etc.). Changez de support pour dessiner ou peindre fait naître de nouvelles idées. Essayez différents types, et pourquoi pas plusieurs en même temps.
L’artiste italien Emilio Prini écrit sur du papier musique une chanson en hommage à Pablo Picasso. Mais il n’y a pas de notations musicales : à celle ou celui qui regarde, alors, d’inventer s’il le souhaite sa propre mélodie.
Emilio Prini, Picasso, nd
Agnès Geoffray, Télégramme, de la série Télégrammes, 2017, DR
Ce télégramme appartient à une série de 17 télégrammes anciens chinés par l’artiste. Elle en a décollé les bandes de textes originales puis a écrit de nouvelles phrases qu’elle a collé sur le télégramme. En résultent des énoncés mystérieux, qui résonnent en chacun de nous d’une façon singulière.
Du coup de téléphone à la liste des courses : dessinez sans y penser
Le papier, c’est souvent ce qui reçoit ce à quoi on ne pense pas, ou bien ce à quoi on n’accorde qu’une importance momentanée. On y griffonne, on y gribouille, on y fait un croquis, on note quelque chose à la va vite. Collectez de telles traces faites par votre famille, vos amis, vous-même… ou imaginez de fausses listes de courses avant d’y ajouter des dessins, d’écrire sur ce qui est déjà écrit, d’y dissimuler un code secret, etc. Vous constaterez peut-être qu’en ce cas le « faux » aussi est difficile à faire !
Jean Dubuffet, Automobile, 1973, Marqueur sur papier blanc découpé, collé sur papier gris. DR.
Un jour, en 1962, le peintre Jean Dubuffet reçoit un coup de téléphone. La conversation est longue. Tout en écoutant, tout en parlant, il commence, sans même y penser, à dessiner dans un carnet une ligne noire au stylo bille. Fasciné par l’immédiateté du dessin, il crée l’Hourloupe : une série de peintures, de dessins, de sculptures et même d’architectures où des lignes noires délimitent des espaces blancs et hachurés en bleu et rouge.
Apparaître/disparaître
Quand le papier devient couleur ou forme
Un papier c’est une surface, de la couleur : pourquoi ne pas jouer avec ? C’est-à-dire : utiliser cette couleur pour créer des formes plutôt que de les dessiner ou de les peindre. On peut ainsi composer avec les vides et les pleins. Ainsi, le papier sera mis à l’honneur.
Victor Vasarely, Zèbres, 1939 – 1943, DR
Effacez, effacez, il en restera toujours quelque chose !
Jouer avec le papier, c’est aussi faire disparaître, totalement ou en partie, des formes qu’on a faites apparaître. Petit jeu à plusieurs : dessiner, puis faire effacer par une ou un autre, à la gomme ou d’une autre façon, en laissant apparaître des parties du dessin.
Robert Rauschenberg, Erased de Kooning drawing : Robert Rauschenberg, 1953, DR
En 1953, le très jeune artiste américain Robert Rauschenberg approche un artiste important : l’expressionniste Willem de Kooning. Il lui demande de lui offrir un dessin qu’il pourrait ensuite effacer. Étonné, de Kooning lui fait tout de même cadeau d’un dessin qu’il juge pourtant important.
Se jouer des éléments
Un liquide peut modifier le papier, sa forme, ses contours, comme ce qui se trouve représenté ou écrit à sa surface (un texte, un dessin, etc.). Des formes inattendues, qui changent, à la fois, le support et la représentation, apparaissent. Faites prendre un bain au papier : eau, lait, chocolat, etc. À vous de décider ! Et s’il pleut le jour de La Grande Lessive® réjouissez-vous de l’apport créatif de l’eau !
Dans un court film intitulé La pluie, image pour un texte (1969), l’artiste belge Marcel Broodthaers écrit un texte que la pluie vient effacer.
Capture d’image. Film à retrouver sur Youtube.
La photographe Meghann Riepenhoff, pour sa part, utilise le cyanotype, un procédé photographique très ancien par le biais duquel on obtient un tirage photographique bleu de Prusse. Nul besoin de papier photo, mais de produits dont on recouvre la feuille : le citrate d’ammonium ferrique et le ferricyanure de potassium. Elle confronte son papier à l’eau de mer, de façon à obtenir des formes qui sont des traces des mouvements de cette eau.
Meghann Riepenhoff, Ecotone #904 (Bainbridge Island, WA 07.03.20,
Draped on Big Leaf Maple Stump, Steady Rain) (detail), 2020.
Unique cyanotype; 42 x 88 inches. Image courtesy the artist © Meghann Riepenhoff, DR
Du papier sensible à la lumière
Le papier photographique réagit à la lumière. Si vous disposez d’un laboratoire photographique, vous pouvez expérimenter des jeux avec le papier et la lumière pour créer des formes, abstraites ou non.
Alison Rossiter, Defender Argo, papier expiré en septembre 1911, réactivé en 2014, ©Alison Rossiter, DR
Alison Rossiter travaille avec du papier photographique périmé, endommagé, oxydé ou partiellement exposé, qu’elle réactive grâce au développement Sa recherche est expérimentale, à la fois marquée par une grande maîtrise technique et ouvert à l’imprévu.
Faites dialoguer l’outil et le papier
Expérimentez différents outils, y compris des outils peu ou pas utilisés pour la peinture et le dessin. Le papier va y réagir ! Chouette ! À vous de répondre par de nouvelles interventions au moyen d’outils usuels (crayons, feutres, fusain, pinceaux, stylos, etc.) ou moins utilisés : ciseaux, tampon encreur, plume, roseau, écorce, etc. Concevoir ses outils pour intervenir sur du papier fait partie de la démarche créative.
Alighiero Boetti, Mettre au monde le monde, 1972-1973, stylo bille bleu sur papier sur toile, 159 x 328 cm. DR
Dans une série d’œuvres, l’artiste italien Alighero Boetti dessine avec un outil qui est le plus souvent destiné à l’écriture : le stylo-bille. Il travaille avec le blanc du papier : les espaces vides dessinent des lettres et des virgules qui figurent elles-mêmes une phrase, « mettere al mondo il mondo », mettre le monde au monde. Pour décoder la phrase, il faut faire correspondre lettres et virgules : de la virgule la plus proche de la lettre à la plus lointaine.
Partez à la rencontre de gestes
On peut s’emparer d’un papier existant, mais aussi des gestes que d’autres personnes ont effectués, volontairement ou pas, consciemment ou non, sur le papier : traces, salissures, collages, décollages, graffitis, arrachage, etc.
Raymond Hains, Sans titre, 1961. DR
À partir de1949, Raymond Hains arrache avec un autre artiste, Jacques Villeglé, des affiches lacérées où se superposent textes et images. Parlant de ces affiches arrachées, il dit : « Mes œuvres existaient avant moi, mais on ne les voyait pas car elles crevaient les yeux ».
« Vos papiers »
En français, le mot papiers, employé au pluriel, peut désigner les papiers d’identité. Du papier aux papiers d’identité, vous pouvez emprunter une foule de chemin !
La vitrine ci-dessous rassemble les traces des gestes artistiques exécutés par l’artiste Christian Boltanski pendant la période 1969-1971 : textes, sucres taillés, objets modelés, boulettes d’argile … Deux photos d’identité de l’artiste y figurent. À vous de trouver comment utiliser d’autres papiers d’identité (ou non) sur du papier, bien sûr !
Christian Boltanski, Vitrine de référence, 1970-71,
Objets divers (photographies, disque, cheveux, sucres taillés, boules de terre, pansements, couteaux…)
contenus dans une vitrine en bois. DR
Textes Joëlle Gonthier, Pierre Ryngaert.
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